Recomposition politique en France

Publié le par Association Fraternité Franco-Africaine (FFA)

                 QUELS CRITERES POUR LA RECOMPOSITION
                                  POLITIQUE EN FRANCE ?
              
 
I- Le bonapartisme français
 
        L’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République a consacré une fois encore l’omnipotence en France des réseaux d’affaires et des lobbies, en particulier médiatiques, industriels et militaires. Plusieurs noms de business men ont défrayé la chronique à cette occasion : Noël Forgeard et Arnaud Lagardère dont la gestion très sujette à caution d’EADS et à l’origine de la grave crise de cette entreprise a dû bénéficier de la bienveillance du gouvernement précédent ; Vincent Bolloré dont l’empire s’est construit dans l’ombre des relations franco-africaines….De nombreuses affaires, qui interpellent les observateurs étrangers, européens et en particulier allemands (dans le cadre de la maison commune d’EADS), ont ainsi assombri l’image de l’Etat français et d’une partie de sa classe politique : affaire ELF, affaire Clearstream, affaire des HLM de Paris qui met en cause le Président sortant lui-même, affaire Borrel… dont l’élucidation est empêchée par une justice aux ordres.
        Le verrouillage de l’Etat central est tel désormais que depuis 1995, l’alternance au pouvoir est devenue une hypothèse bien improbable, l’UMP, sous la houlette de son chef, menaçant de monopoliser pour longtemps les pouvoirs de décision nationaux. Par contrecoup, s’installe une crise à gauche et dans les milieux progressistes : le combat de F. Bayrou pour le pluralisme politique en France se conclut par la désertion de ses cadres au profit de l’Etat UMP ; même débauchage au PS d’éléments historiques tels que B. Kouchner…La bipolarité obligée de la vie politique ainsi que la division spectaculaire de la gauche antilibérale malgré les succès précédents ( lutte victorieuse pour l’abrogation des TCE et CPE) procèdent d’abord également de la pression exercée par l’Etat unitariste et autocentré et de la quasi-impossibilité pour les minorités en France d’accéder voire de conserver une représentation institutionnelle, quelle que soit leur influence réelle sur la société française. Rappelons que le système électoral majoritaire est un passif bien français, l’Union Européenne ayant, elle, adopté, le système proportionnel.
         
          Les idéaux politiques représentés par les partis reculant ainsi face aux forces conjuguées de l’argent, du pouvoir, des opportunismes individuels et de la vanité, il est nécessaire de recadrer le débat public. Jusqu’à présent, la gauche a de tradition adopté un discours socio-économique qui vise légitimement à défendre les intérêts des plus démunis ; il devient urgent de lui rajouter une composante stratégique et géo-politique. L’unité doit être de rigueur dans nos rangs pour combattre le bonapartisme renaissant et en démonter le mécanisme, à savoir la collusion d’un appareil d’Etat hyper hiérarchisé et des réseaux et lobbies précédemment cités. Il est donc essentiel de mettre en préalable la réforme des institutions étatico-institutionnelles et cela par comparaison avec la projection propre des pays environnants . Cela nous amènera à lever un deuxième obstacle de la culture politique française, son ethnocentrisme cultivé à l’ombre d’une histoire impériale : le comparatisme géo-politique et la solidarité altermondialiste, si cruellement absents de la campagne présidentielle, doivent nous aider à nous libérer dorénavant de la prison républicaine de verre qui est la nôtre.
 
 
 
 
II- L’altermondialisme et l’axe des relations Nord-Sud
 
              Depuis la chute du mur de Berlin, à la construction pyramidale du nouvel ordre mondial, représenté par les organisations internationales à la solde des pays occidentaux, s’est ajoutée l’organisation parallèle et en réseau du mouvement altermondialiste dont le siège de prédilection est Porto Alegre au Brésil. Le G8 qui se réunit en Allemagne cette année est comme l’écrit ATTAC « une institution illégitime » dans la mesure où, en l’absence de toute représentation démocratique, il regroupe les forces des Etats dominants de la planète, ceux du Nord et de leurs réseaux particuliers. Si l’internationalisme ouvrier s’est construit en Europe et sur un axe Est-Ouest, il devient nécessaire de dépasser le « cosmopolitisme » de l’altermondialisme naissant, d’orienter ce dernier et de reconnaître pour ce faire le nouveau paradigme des relations internationales, celui des relations Nord-Sud. Dans cet ordre d’idée, depuis l’attentat de New York en 2001, se sont enchaînés des événements à portée tant externe qu’interne qui révèlent des antagonismes majeurs- car d’ordre civilisationnel- sur cet axe et qui ont mis de ce fait à l’épreuve les démocraties occidentales. Ainsi, la sanction par les opinions publiques de la participation de leur gouvernement à la guerre en Irak a t’elle conduit en Espagne comme aux USA à des lendemains meilleurs : le pouvoir atlantiste d’Aznar a été balayé en 2004, un contrepouvoir au Congrès américain incarné par une femme, Nancy Pelosi depuis 2006, freine les ardeurs bellicistes de l’administration Bush. Dans le même temps, Berlusconi le maffieux, également engagé dans le bourbier irakien, a été remercié en Italie sans esclandre. L’Allemagne de tradition politique masculine voire machiste a inauguré une nouvelle ère en élisant une femme, Angela Merkel à sa tête. La reconversion de maints pays d’Amérique latine à gauche ( Brésil, Vénézuela, Bolivie, Equateur, Chili…) et leur regroupement régional aux côtés du régime cubain leur offrent la perspective d’un affranchissement à terme de l’administration nord-américaine.
               Autant dire que l’exception culturelle française et francophone est une réalité, certes, mais en négatif actuellement. Le maintien durable des équipes dirigeantes de l’UMP au sommet de l’Etat a, il est vrai, été compensé par l’embellie électorale de 2004 mais il reste à en déterminer la part d’ influence extérieure : rappelons-nous que le raz de marée de gauche (essentiellement socialiste dans la compression bipolaire actuelle) aux élections régionales, européennes et cantonales eut lieu trois semaines après la volte face espagnole qui mit au pouvoir José Luis Zapatero. La question est donc celle-ci : le peuple français est-il capable désormais de retournements décisifs, tels que celui de 1997, à l’occasion de l’élection législative convoquée par le Président Chirac ? De nombreux analystes sont pessimistes quant à la marge d’autonomie actuelle du peuple par rapport à son Etat et à sa bourgeoisie. D’où la nécessité pour ses représentations de déraciner les fondements de l’aliénation propre à la 5e République.
               S’il est un fait que les conflits entre les mondes atlantiste et arabo-musulman vertèbrent cet « axe du mal » dont parle Bush, les relations franco-africaines, si discrètes soient-elles, verrouillent de même l’ordre des relations Nord-Sud sur l’axe Europe-Afrique : le partage des rôles de répression s’opère entre la « grande muette » qui quadrille à partir de ses bases l’Afrique francophone et le Ministère de l’Intérieur dont la législation liberticide tente de régler empiriquement les problèmes d’immigration (qu’une caricature de Coopération technique et culturelle crée trop souvent[1]) et menace désormais les droits des autochtones eux-mêmes. Sur cette base, le Front National, alimentant de concert avec l’UMP la pompe du nationalisme français et de l’idéologie sécuritaire, parasite le terrain électoral occupé précédemment par les forteresses de gauche dont le PCF. Quant aux chefs, Charles Pasqua le Françafricain est le parrain obligé de notre Président, baptisé par ailleurs sur les fonds du département le plus riche de France : comme par hasard, Sarkozy lui a succédé au Ministère de l’Intérieur. Cette institution clef du système s’est d’ailleurs dotée de nouvelles prérogatives douteuses, l’identité nationale et la gestion comptable de l’immigration, cela en l’absence au gouvernement de Secrétariat d’Etat à la Coopération et à la Francophonie ; le « co-développement », nouveau concept du pouvoir emprunté à la gauche et sans doute vidé de sa substance, sera l’alibi sur le papier du durcissement de la législation anti-immigrés.
Les transfuges du PS sont eux aussi souvent liés aux relations franco-africaines et connaisseurs des coups tordus de la Françafrique : B. Kouchner a entamé sa carrière de french doctor sur les ruines de la guerre au Biafra (commanditée en sous-main par le gouvernement Pompidou) et inauguré son concept douteux de « droit d’ingérence » avec le génocide franco-rwandais ; Charasse est un ancien Ministre de la Coopération, Védrine l’ancien Ministre de Affaires étrangères défendit becs et ongles la thèse de l’irresponsabilité mitterrandienne et française dans le génocide de 1994, Eric Besson est lié à des associations tiers-mondistes. Pour conclure, la question franco-africaine n’est plus une question secondaire et marginale, réservée à des philanthropes et des africanistes, représentés par exemple par les associations Survie et Agir Ici ; dans l’état de corruption des institutions de la 5e République qui s’avère une forme subtile de monarchie françafricaine, elle est devenue une question centrale, à traiter comme telle. Rappelons-nous que la naissance de la 5e République coïncidait avec la décolonisation et la fin programmée de la guerre en Algérie. Il reste donc à faire du combat pour l’abolition du néo-colonialisme un autre préalable à la recomposition idéologique et institutionnelle en France.
                 En complément se pose la question de la philosophie politique, de la conception de la citoyenneté au monde que nous voulons construire de concert avec nos voisins: est-il décent qu’un pays ignore depuis plus d’une décennie ses responsabilités dans un génocide qui causa la mort violente de presqu’un million de morts (il s’agit du Rwanda) et que dans le même temps, son Etat ethnocentré se mette en quatre pour préserver l’intégrité du moindre de ses individus- citoyens à l’autre bout du monde ? Est-il normal que, dans l’éternelle logique du « diviser pour régner », la diplomatie française redore régulièrement son blason au Moyen Orient (ce fut le cas dernièrement avec l’opposition chiraquienne à la guerre en Irak) et cela sur le dos de l’Afrique francophone, spoliée de ses richesses et de son avenir démocratique dans l’ombre de la métropole ? Il y a là une forme d’hypocrisie dont il faudra bien un jour se départir, en particulier grâce à la démocratisation des média publics.
 
III- Les média publics courroie de transmission de « l’ordre injuste » ?
 
            Comme dit précédemment, la censure et/ou la désinformation concernant les questions Nord-Sud et en particulier franco-africaines est la stratégie de rigueur pour les intérêts d’un Etat vampire, d’un Etat voyou et criminel, d’une realpolitik propre au Nord qui nie les enjeux humanistes et interculturels de l’immigration ainsi que l’arme pacifique de la démographie.
Désormais, concernant les affaires intérieures également, de même que pour la justice, il est légitime de se poser la question du statut actuel des médias publics : ne faut-il pas exiger le respect d’un code de déontologie ? Au delà de la question de la nomination de responsables indépendants de la sphère sarkozyenne, c’est au traitement a minima ou condescendante et ironique des représentations politiques de l’opposition qu’il faut s’attaquer, à la manipulation de l’opinion publique par les sondages et autres matraquages défaitistes sur la fatale « vague bleue » et les « tsunamis » de la « droite décomplexée », à la pipolisation de la vie politique sur fonds de rumeurs et de personnalisations négatives, à l’excessive familiarisation des locataires de l’Elysée et des citoyens sur fonds de compassion victimaire et démagogique, à la création d’une société de la « comm » en lieu et place des idéologies malades.... A l’heure de la systématisation des réseaux et des contre-réseaux, cette question subjective, relevant des mentalités est importante à creuser pour notre avenir démocratique. En parallèle avec un CSA aux ordres, un comité populaire et inter-organisationnel de contrôle des médias publics permettrait de gérer l’épineuse question de la reconquête de l’opinion publique. On ne pourra pas faire l’économie dans cette perspective du recours aux sciences humaines, peu à peu asphyxiées dans la course à la rentabilité immédiate, comme ne tardera pas à le montrer la réforme de libéralisation des Universités, programmée cet été en l’absence des étudiants.
         Enfin, à l’opposé du saupoudrage communautariste opéré par l’actuelle équipe dirigeante en guise de réponse à la demande de diversité culturelle et ethnique formulée depuis la crise des banlieues de 2005, c’est d’une authentique décolonisation des consciences, d’un dialogue en forme des cultures et d’une Francophonie des peuples dont a besoin la France ; dans ses média, dans ses programmes scolaires et universitaires…
          Pour conclure, la question politique en France, celle de la recomposition idéologique de la gauche et des forces de progrès pour une meilleure maîtrise de l’Etat, ne sera pas réglée uniquement par une réflexion socio-économique, si alternative soit-elle. Le propre de la politique, c’est d’être une forme spécifique de culture pour laquelle il faut convoquer les outils adéquats : l’histoire, la géo-politique, les sciences humaines, le comparatisme interculturel, la philosophie politique…entre autres. Vaste chantier qui peut nous occuper utilement le temps de ce quinquennat !
 
                              Fraternité Franco-Africaine (9 juin 2007)
                           Courriel : fraternafrique@ml.free.fr
 

[1] A ce propos, la revendication de la régularisation de tous les Sans Papiers est-elle la plus appropriée ? Outre qu’elle apparaît comme utopique, elle peut gommer les responsabilités de l’actuelle «  Coopération » Nord-Sud dans le mécanisme de l’immigration de la misère. L’émergence de la question corollaire du co-développement montre a contrario la volonté de mieux maîtriser l’ensemble du système existant.

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